vendredi 30 mai 2008

Journées doctorales du CSPRP

Les journées doctorales du CSPRP auront lieu les 11 et 12 juin 2008 à l’Université Paris 7 sur le site Javelot

Le 11 juin salle des thèses au premier étage de 9 heures 30 à 17 heures 30
Le 12 juin salle 33 au Rez-de-chaussée 9 heures 30 à 17 heures 30

Programme des interventions

Le 11 juin matin

Laurent Aucher, « Espace matériel, espace mémoriel du groupe dominant »
Discutant Etienne Tassin (etienne.tassin@club-internet.fr)

Michael Nafi, « Entre orientalisme et anti-orientalisme : Voegelin, une troisième voie ? »
Discutant Géraldine Muhlmann (muhlmann@canoe.ens.fr)

Michaela Fiserova, « La censure en tant qu’exclusion du partage. La photographie et le politique, Slovaquie: 1968-1989 »
Discutant Sonia Dayan-Herzbrun (dayan@paris7.jussieu.fr)

Le 11 juin après-midi

Marc Le Ny, « La loi chez Hannah Arendt »
Discutant Martine Leibovici (martine.leibovici@paris7.jussieu.fr)

Hourya Benthouami, "(Non) violence et révolution. F. Fanon et M. K. Gandhi, par-delà le bien et le mal"
Discutant Francisco Naishtat (fnaishtat@gmail.com)

Julia Smola, "La politique sans mots: parler et agir en argentine dans les années 1990"
Discutant Denis Merklen (merklen@ehess.fr)

Le 12 juin matin

Sarah Mailleux, « La présence de la mort dans l’expérience ordinaire de la pauvreté »
Discutant Denis Merklen (merklen@ehess.fr)

Jamil Kadi, « L’appropriation de l’espace comme processus de résilience »
Discutant Marie Claire Caloz-Tschopp (marie-claire.caloz-tschopp@pse.unife.ch)

Gisèle Fotso, « L'évolution de l'enseignement de la langue arabe dans l'Adamaoua (Nord-Cameroun) et l'intégration des arabisants dans la vie sociale et politique au Cameroun »
Discutant Fatou Sow (fatousow@hotmail.com)

José Morillo, "Phénoménologie et fragilité"
Discutante Martine Leibovici

Le 12 juin après-midi (Thèses venant à soutenance)

Christel Coton, « Lutte de prestige entre pairs : le cas des officiers de l’armée de terre »
Discutant Laurent Fleury (laurent.fleury@paris7.jussieu.fr)

Gilles Riaux, "Genre et engagement millitant. Le cas de l'Azerdaïdjan iranien"
Discutant Martne Leibovici (martine.leibovici@paris7.jussieu.fr)

Alexandre Piettre, "la fantasmagorie de l'urbanité contre le déploiement de la communauté. Une critique de l'écologie urbaine et de ses usages en intervention sociale"
Discutant Denis Merklen (merklen@ehess.fr)

Miguel Castillo, Biotechnologie et pouvoir au regard d'une philosophie critique
Discutant : Numa Murard (Murard@paris7.jussieu.fr)

Discussion Les trois secrets (Sens & Tonka, mai 2008) d’Olivier Jacquemond par Pierre Pachet

mardi 27 mai 2008

Hourya Bentouhami (Non) violence et révolution

Journées des doctorants des 11 & 12 juin 2008
(Non) Violence et révolution.
F. Fanon et M. K. Gandhi, par-delà le bien et le mal

« Je veux ma voix brutale, je ne la veux pas belle, je ne la veux pas pure, je ne la veux pas de toutes dimensions.
Je la veux de part en part déchirée, je veux qu’elle s’amuse car enfin, je parle de l’homme et de son refus, de la quotidienne pourriture de l’homme, de son épouvantable démission »
F. Fanon, Pour l’Algérie
[1]

« Je crois que s’il fallait, un jour, choisir entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. (…) Je préférerais que l’Inde ait recours aux armes pour défendre son honneur plutôt qu’elle devienne ou reste lâchement le témoin impuissant de son déshonneur.
Mais je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence, que le pardon est plus viril que le châtiment »
M. K. Gandhi, La doctrine de l’épée
[2]

Il pourrait sembler aventureux d’appréhender dans une même réflexion des pensées qui produisirent des processus révolutionnaires aussi éloignés que ceux conduits, inspirés ou soutenus par M. K. Gandhi (1869-1948) d’une part, le leader d’un des plus grands mouvements de désobéissance civique de l’histoire et qu’on qualifiait de manière quasi-messianique de Mahatma (prophète), et F. Fanon (1925-1961) d’autre part, que certains commentateurs n’ont pas hésité à qualifier –élogieusement mais peut-être hâtivement- de « Clausewitz de la Révolution »[3]. Mais les rencontres improbables de l’histoire sont parfois les lieux d’indices spéculatifs forts suggestifs pour comprendre les définitions et les dispositifs aujourd’hui hérités de la période de la « décolonisation ». C’est d’ailleurs ce possible renouvellement des concepts, et leur réactivation dans d’autres contextes politiques, qui avait déjà poussé Etienne Balibar à analyser conjointement la pensée de Gandhi et de Lénine[4]. Balibar avait ainsi motivé son entreprise comparative à partir de l’influence durable exercée par les complexes théorico-politiques mis en mouvement par ces deux figures révolutionnaires. De la même manière ici, j’aimerais repenser à nouveau frais le cœur de la théorie politique, à savoir l’expérience de la domination et de la résistance, à partir de son nexus le plus dynamique : le rapport entre violence et non-violence. Bien qu’ils n’offrent aucune doctrine systématiquement exposée, les écrits de Fanon comme ceux de Gandhi, reflètent néanmoins et admirablement l’urgence d’une théorie de l’action à travers leurs déterminants tactiques : Gandhi comme Fanon ne se posent-ils pas la question de savoir « quand une situation est mûre pour un mouvement de libération nationale » et «quelle doit en être l’avant-garde » ? ; les deux théoriciens et militants chercheraient ainsi de la même manière à déterminer « ce qui est une vraie décolonisation et ce qui est une fausse décolonisation », animés qu’ils étaient par l’urgence à « décider des moyens, de la tactique, c’est-à-dire de la conduite et de l’organisation »[5]. Mais au-delà de la perspective indépendantiste, leurs discours anticolonialistes ont acquis par la ferveur narrative et l’indéniable effectivité pratique qui les ont caractérisés, une portée universaliste : celle de l’aspiration à l’émancipation des dominés vis-à-vis des dominants.
Et pourtant, tout semble opposer a priori Gandhi et Fanon : le premier, instigateur et ferveur défenseur de la non-violence fut l’objet -à peine indirect- de railleries de la part du second. Fanon disqualifie en effet clairement les soi-disant bienfaits de la non-coopération (ramenée dans son discours à une forme dérivée du pacifisme), qu’il considère comme étant soit du réformisme et/ou de la passivité, soit un ajournement inopportun, voire lâche. Et Gandhi pourrait même tomber sous le coup de cette autre critique fanonnienne dirigée contre les partis nationalistes, à savoir que ces derniers ne font qu’ériger des « principes » là où il faudrait lancer des « mots d’ordre ». Cependant, même s’il est vrai que Fanon eut sensiblement une influence plus grande dans les luttes de libération nationale que Gandhi (qui, quant à lui, eut une influence plus grande sur les mouvements de droits civiques internes[6]), on ne peut nier que la force même de Gandhi est d’avoir fait des principes des mots d’ordre. Ainsi le hind swaraj (indépendance de l’Inde) fondée sur le satyagraha (« adhésion à la vérité » ou désobéissance civile) s’accompagnera du fameux « quit india » dans les années 1940. Et qui plus est, Gandhi formule exactement les mêmes critiques que Fanon à l’encontre du nationalisme bourgeois. Quant aux railleries sur l’effectivité pratique de la non-violence, elles semblent relever de la même façon d’une méconnaissance de la théorie proprement gandhienne, méconnaissance dont j’essaierai de montrer qu’elle repose largement à la fois sur la vision sexuée du pouvoir en politique, où le « ne-pas-faire » (propre de la non-coopération) et le fait de « souffrir » une politique est ramenée à une forme « efféminée » de pouvoir, et sur une vision orientaliste des rapports entre religion et politique en Orient en même temps que – et paradoxalement- sur la construction christique occidentale de la non-violence gandhienne ramenée à la démarche de la joue tendue ou à la conciliation négociatrice (Fanon l’appelle « l’entente à l’amiable »[7]). Il semblerait donc que ce soit à partir de ce point de la sexuation de l’agir politique que Fanon et Gandhi s’opposent irrémédiablement : en effet, à l’hypervirilité masculine chez Fanon, seule force physique, musculaire, capable de renverser le pouvoir dominant, s’opposerait la féminité de Gandhi, sa « révolution passive ». Or, comme j’essaierai de le démontrer en me fondant sur les travaux de Judith Butler pour Fanon, et d’Ashis Nandy pour Gandhi, les deux auteurs relèvent d’une même démarche déconstructive du genre. Ainsi, ce que fait Gandhi en réalité ne consisterait en rien d’autre qu’à reprendre à son compte et de manière tactique des principes de non-violence et de renoncement déjà présents dans la tradition indienne pour qualifier une certaine « féminité », afin de leur donner une vitalité politique qui viennent contredire l’exhibitionnisme bruyant, violent et masculiniste du colonialisme britannique. Ce-faisant Gandhi jetterait un trouble dans les catégories différentialistes façonnées par la Modernité capitaliste, et qui associait la féminité à la faiblesse : pour Gandhi, non seulement la non-violence est féminine mais elle est forte, ce qui lui permet ainsi de distinguer une forme de virilité et de courage dégagée de la force physique « masculine ». Ainsi, la désobéissance civique à la Gandhi s’arrangerait d’un style « féminin » du politique qui déjouerait complètement les stéréotypes occidentaux de la féminité pour lesquels la douceur et la compassion ne seraient que de la passivité et de la soumission. Son style opère alors un bouleversement radical capable de provoquer une massification de la mobilisation dans la mesure où il repose sur une forme de courage que les femmes, les enfants et même les vieillards peuvent pratiquer. Et c’est par le biais de cette approche déconstructive des identités différentialistes qu’il me semble possible d’aborder communément Gandhi et Fanon, même si on a eu trop tendance à réduire ce dernier – certainement à cause de la préface sartrienne – à une forme de démonstration virile fondée sur la force physique et donc sur une certaine masculinité.
Enfin, outre cette capacité à repenser le genre en politique, l’étude conjointe de Fanon et Gandhi permet d’aborder la colonisation hors du champ de l’économie politique, en montrant que celle-ci ne se réduit pas à la seule motivation du profit économique et du pouvoir politique. Aussi bien Gandhi que Fanon en effet saisissent le colonialisme dans le cadre d’une économie psychique qui fait ressortir les pathologies psychologiques et culturelles ainsi produites par la « violence atmosphérique » (Fanon). Autrement dit, que ce soit Fanon ou Gandhi, les deux théoriciens s’attachent à définir le colonialisme comme étant aussi et surtout un état psychique dévastateur.
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I « La morsure du paradoxe » (Fanon) : la (non) violence aux prises avec les représentations différentialistes du Féminin et du Masculin

1. La non-violence : un élément « féminin » qui jette le trouble dans une définition « masculine » du pouvoir ?
a. La « révolution passive » ou l’orientalisme des interprétations du gandhisme
b. Le Gandhi de Fanon : une vision christique

2. « Ne pas faire » : la non-coopération, entre « passivité » et « virilité »
a. L’arme des femmes, des enfants et des vieillards
b. Une virilité androgyne
c. servitude volontaire

II « Edifier un monde » (Fanon)

1. « Un monde sans intervalles » (Fanon): le messianisme de Fanon et Gandhi
a. La violence socialisatrice et les voies de la reconnaissance chez Fanon : au-delà d’une épistémologie de la peur
b. Le gandhisme : « bien radical » contre « mal radical » ?

2. La (non) violence comme Critique
a. « La possibilité paradoxale d’une violence non-violente » (J. Butler)
b. La preuve par les masses
c. Gandhi, Fanon : critiques de la modernité

Conclusion : Les possibilités théoriques offertes par Fanon et Gandhi aujourd’hui
a. La critique des identités : négritude et androgynie
b. Le privé public : la désobéissance civile comme le domestique politique
[1] F. Fanon, « Pour l’Algérie », in Pour la révolution africaine. Ecrits politiques, Paris, La Découverte, 2006, p. 57.
[2] M. K. Gandhi, « La doctrine de l’épée », in Résistance non-violente, Paris, Buchet/Chastel, 1997, p. 115. Désormais noté : RNV.
[3] Il s’agit de Peter Berger.
[4] E. Balibar, « Lénine et Gandhi : une rencontre manquée ? », communication au colloque Marx International IV, « Guerre impériale, guerre sociale », Université de Paris X Nanterre, disponible en ligne sur le site du Centre International d’Etude de la Philosophie Française Contemporaine (CIEPFC).
[5] F. Fanon, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2002 [1961], p. 59.
[6] Sur les influences de Gandhi en Afrique dans les luttes de libération nationale et ensuite dans les mouvements de droits civiques, voir C. Markovits, Gandhi, Paris, Presses de Science Po, 2000, p. 111.
[7] F. Fanon, op. cit., p. 40.