mercredi 21 mai 2008

Texte de Miguel Castello

Journée des doctorants des 11 & 12 juin 2008

Biotechnologie et pouvoir au regard d'une philosophie critique


« Pour celles [les langues] de l’hémisphère boréal… la cellule primordiale [de la langue] n’est pas le verbe, mais l’adjectif monosyllabique. Le substantif est formé par une accumulation d’adjectifs. On ne dit pas lune, mais aérien-clair-sur-rond-obscur ou orange-ténu-du-ciel ou n’importe quelle autre association. Dans le cas choisi, la masse d’adjectifs correspond à un objet réel ; le fait est purement fortuit… Il y a des objets composés des deux termes, l’un de caractère visuel et l’autre auditif : la couleur de l’aurore et le cri lointain d’un oiseau. Il y en a composés de nombreux termes : le soleil et l’eau contre la poitrine du nageur, la rose vague et frémissant que l’on voit les yeux fermés, la sensation de quelqu’un se laissant emporter par un fleuve et aussi par le rêve »[1]

« Quand on proclama que la Bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant. Tous les hommes se sentirent maîtres d’un trésor intact et secret. Il n’y avait pas de problème personnel ou mondial dont l’éloquente solution n’existât quelque part : dans quelque hexagone. L’univers se trouvait justifié, l’univers avait brusquement conquis les dimensions illimitées de l’espérance… A l’espoir éperdu succéda, comme il est naturel, une dépression excessive. La certitude que quelque étagère de quelque hexagone enfermait des livres précieux, et que ces livres précieux étaient inaccessibles, sembla presque intolérable »[2]


Bio-techno-logie et Politique ? Philosophie politique critique ?

« Unifier des termes opposés comme le fait le style commercial et politique, c’est un des nombreux moyens –écrit Marcuse- qu’empruntent les discours et la communication pour se rendre imperméables à l’expression de la protestation et du refus… les organes de l’ordre établi admettent et publient que la paix doit toujours se trouver à la limite de la guerre, que les armes atomiques sont d’un prix avantageux, que les abris anti-atomiques peuvent être confortables… Et par son aptitude à assimiler tous les autres termes aux siens, il offre la possibilité de combiner la plus grande tolérance avec la plus grande unité. Néanmoins c’est un langage qui témoigne du caractère répressif de cette unité »[3].

Lorsque l’association d’idées n’exprime que le symptôme d’un retour sans frein du refoulé, seul le silence ouvre la possibilité d’une issue à la répétition. Reconnaître la valeur du silence devient un moment essentiel du travail du concept : introduire une distance entre un mot et le suivant, lorsque l’association ne permet plus de faire les distinctions nécessaires à la pensée[4]. Mais nous parlons ici d’un travail de concept qui suppose déjà un concept, celui de « liberté ». L’issue de ce paradoxe est toujours théorique et pratique, et non purement pragmatique car elle indique les limites rationnelles d’une philosophie autoréférentielle du sujet : la condition de possibilité de la pensée est la liberté.

Que prétendons-nous donc lorsque nous mettons dans une même phrase Biotechnologie et politique, et ensuite Philosophie, politique et théorie critique ? Dans une bibliothèque un peu différente de celle de Borges, où les substantifs ne sont pas réduits à une opération poétique d’une liaison d’adjectifs mais à une réduction opérationnelle du concept, nous pourrions même faire plus simple ou plus absurde, et dire par exemple: biotechnologie politique critique.

Le travail de concept implique cette exigence de se tenir à la pluralité de l’expérience, selon laquelle le concept n’est pas l’équivalent de la réalité et l’actualité n’équivaut pas non plus à une potentialité, selon laquelle les mots n’expriment pas que des relations concrètes, une fonctionnalité ou une argumentation rationnelle dans la confrontation des idées, mais sont la praxis d’une mentalité élargie, la phénoménalisation de qui parle ou qui agit.

Se tenir au travail de distinction nous implique dans notre cas à insister sur la spécificité de l’expérience contenue dans les concepts, c’est-à-dire :

1° Sans rentrer dans le détail de la distinction entre Zoé et Bios, nous pouvons distinguer que dans la notion de vie, on véhicule deux conceptions différentes. Celle qui portera sa signification sur l’idée de ressemblance, et dont la variabilité est le signe tout simplement d’une unité d’espèce qui peut être considérée, dans la plupart des cas, tout simplement de manière quantitative (en avoir plus ou en avoir moins, par rapport à l’espèce)[5]. Et celle qui n’est pas fondée sur la ressemblance mais sur des différences spécifiques : « la cité est composée d’hommes qui non seulement sont plus nombreux, mais aussi qui différent spécifiquement entre eux ; une cité, en effet, n’est pas formée de gens semblables : une alliance militaire et une cité sont deux choses différentes (…) Une cité doit être une unité composée d’éléments différant spécifiquement »[6] Cette distinction entre les traités zoologiques et les traités politiques d’Aristote permet en conséquence de dire que « ceux qui pensent qu’être homme politique, roi, chef de famille, maître d’esclave c’est la même chose, n’ont pas raison »[7], car cela implique l’opération de réduction des fins aux moyens, ou en termes Aristotéliciens, que si l’on avance trop « sur la voie de l’unité, une cité n’en sera plus une, car la cité a dans sa nature d’être une certaine sorte de multiplicité, et si elle est trop une, de cité elle retourne à l’état de famille, et de famille à celui d’individu »[8], c’est-à-dire, passer de la liberté à la nécessité. Cette distinction, nous la voyons apparaître chez H. Arendt entre Oikos et Polis. Elle implique une distinction essentielle entre despotisme et politique, et donc, entre domination et politique.

Par conséquent, nous devrions pouvoir distinguer ce dont on parle en Biotechnologie, lorsqu’on parle de Bios, et bien que le fait d’une liaison indéniable entre zoologie et biologie moderne (et donc, de biologie moléculaire et génétique), semble aller de soi, nous nous garderons de supposer que cela soit très clairement distingué lorsque nous pensons à la sélection naturelle des espèces, au tri sélectif artificiel des embryons et aux potentialités de la transgénèse. Nous pouvons nous interroger sur les liens sous-jacents entre l’idée d’espèce et celle de genre humain.

2° Le concept « technique » comportant des difficultés tout aussi importantes que celui de Vie pour le traiter dans un texte aussi court, nous nous contenterons d’indiquer ici sa définition la plus courante. Il appartient à la tradition scientifique moderne, celle de méthode, de moyen, de manière de faire et de procédé, d’instrument. Nous le distinguons des analyses contemporaines critiques d’une philosophie de la connaissance liée à une théorie de la volonté et de la maîtrise de la nature, de soi et des relations humaines. L’exemple le plus notoire de ces critiques est la réflexion heideggerienne sur la pensée d’Aristote de cause (materialis, formalis, finalis et efficiens) et l’idée de penser en conséquence celle-ci comme dévoilement, comme ‘faire apparaître’ à partir d’un ‘faire venir’. Penser la production comme poeisis (ouverture et transformation) et non comme pure fabrication, et la technique comme arraisonnement (comme provocation sous la forme du commettre) et non purement dans un sens pragmatique. Dans l’argument heideggerien, la technique ne comporte pas un danger dans ses effets et dans ses produits, mais dans ce par rapport à quoi l’homme est amené à y répondre sous la forme du commettre, d’accomplir, de se compromettre et de s’exposer à un danger. Ce danger à un caractère double, car il consiste à faire croire à l’homme qu’il est maître de ce qu’il cherche et de ce qu’il trouve lorsqu’il n’est que provoqué par le dévoilement, demandé à faire venir, donc à occulter le mode lui-même de ce faire venir, et le danger d’oublier qu’il est lui-même accordé, c’est-à-dire, accordé dans la poiesis de l’être, que « ce qui sauve se lève à notre horizon »[9]. L’une des significations que prend cette critique heideggerienne de la philosophie de la connaissance liée à une théorie de la volonté apparaît dans un article de Luc Ferry[10], où il soutient que la relation entre technique et volonté arrive à son expression la plus extrême dans l’incarnation d’une volonté de la volonté, dans l’intensification et l’accroissement de la force sans autre raison et fondement que cette intensification et cet accroissement. Luc Ferry finit par nous proposer la ‘sagesse’ heidegerienne, ce qui au fond veut dire selon lui ‘sérénité’, ‘laiser-être’, ‘retrait du politique’. Bref, entre un principe de précaution qui dit de ne pas agir tant que l’on n’est pas sûr des conséquences de cet agir, et ce ‘laisser-être’, ‘retrait du politique’, consistant tous les deux hypothétiquement à empêcher l’accomplissement de la métaphysique de la volonté comme pure force (productive et dévastatrice), nous trouvons une toute autre possibilité, si nous nous confrontons à ce paradoxe. Nous savons que pour sortir d’un paradoxe (car nous ne pouvons pas le résoudre mais uniquement sortir de lui), il nous faut penser avec d’autres termes que ceux que le paradoxe propose. Ainsi, nous trouvons, chez H. Arendt la possibilité de penser que « la condition de l’agir politique n’est pas l’être-au-monde, mais la pluralité qui peut s’élever contre l’être-au-monde. Loin de renvoyer à un être-au-monde (Dasein) compris comme un être-avec (MitSein), ou un être-avec-les-autres (MitDasein), l’action a pour condition la pluralité qui d’elle-même ignore et l’appartenance au monde et la communauté des autres»[11]. L’imprévisible de l’action, l’acosmisme existential, proprement politique, qui « condamne la vie aux plus grandes tensions », ne signifie pas un retrait du politique, mais au contraire la condition même de la pluralité qui la rend possible (c’est-à-dire, justement ce que notre première distinction avait relevé, entre vie et politique, entre communauté et polis, entre besoin et liberté). Entre l’idée de politique comme manière d’assurer la satisfaction de nos besoins et de protéger la vie, et le double chemin d’une théorie de la volonté liée à la politique (politique comme commandement et administration ou comme retrait du politique pour le dévoilement de l’être-au-monde), nous trouvons un terme commun, celui de milieu. Lorsque Heidegger, en essayant d’avoir une distance vis-à-vis de la métaphysique moderne, écrit que la différence entre l’homme et l’animal n’est que l’indifférence (et non l’angoisse) vis-à-vis de son milieu (ce qui fait, en conséquence, que l’humanitas et non l’animalitas deviennent le plus insaisissable pour l’homme, le plus difficile à penser), il réduit l’espace commun à un autre milieu, celui du déploiement de l’être. L’animal ne peut avoir un monde ni agir (il est condamné uniquement à se comporter), car il est absorbé, étourdi, pris par les signaux du milieu ; nous le distinguons de l’homme par cette soustraction de l’être. « L’animal est suspendu entre lui-même et le milieu ambiant, sans que l’un ou l’autre soit éprouvé en tant qu’étant », pauvre en monde, tandis que l’homme se trouve devant les choses abandonnées dans le vide, « elles sont là, mais elles n’ont rien à nous offrir… Par cet ennui, le Dasein se trouve placé précisément devant l’étant en entier, puisque dans cette forme d’ennui, l’étant qui nous entoure n’offre plus aucune possibilité de faire ou de laisser faire. Du point de vue de ces possibilités, l’étant se refuse en entier. Il se refuse ainsi à un Dasein qui, au milieu de cet étant en entier, se rapporte comme tel à lui… Et il faut que le Dasein s’y rapporte, si du moins il doit être ce qu’il est »[12] . L’idée d’un espace public, du monde fait par l’action politique, en tant qu’espace d’apparition des acteurs qui n’existent justement que par l’agir collectif et qui est indépendant des filiations pré-existentes de cet espace, l’idée d’un espace-qui-est-entre-les hommes, d’un espace constitué comme relation, sans substance véritable, paraîtrait aller dans le sens de cet ‘ouvert’ au monde dont Heidegger nous parle. Nonobstant, le caractère essentiellement contradictoire de l’action n’est pas le paradoxe de la volonté que Heidegger s’efforce de soulever, car la question ici est toute autre que celle qui demande pourquoi y a t il quelque chose plutôt que rien ? Mais, « pourquoi y a-t-il quelqu’un plutôt que personne ? »[13] La première question nous mène toujours à une philosophie de la relation entre l’homme et milieu (de l’être), tandis que la deuxième part de l’idée de pluralité comme constitution du monde avant l’idée de monde comme milieu (dans lequel, nous l’avons compris, on peut être étourdi comme un animal ou ennuyé comme un homme).[14]

En ce qui nous concerne, il nous semble évident par notre apprentissage au collège, que biologie, et en conséquence, biotechnologie, ne peuvent être que des études sur les interactions entre des êtres vivants et leur milieu. Les choses deviennent beaucoup moins évidentes lorsque nous écoutons dire que les changements structuraux poietiques des organismes ne sont dus en aucun cas à des interactions mais qu’ils sont le résultat du hasard inhérent à l’organisation même de l’unité vivante la plus simple, et que dans ce sens, ils sont tout le temps ‘artificiels’, auto-poietiques. Plus difficile encore est le fait de comprendre qu’en science, l’artifice n’est pas le résultat d’une volonté mais d’un processus dont nous ne pouvons qu’avoir une connaissance des répétitions mais non une maîtrise des effets. Ou encore que le principe d’objectivité ne signifie pas la possibilité d’observer un univers réel, mais d’être prévenus que l’univers que nous transformons lorsque nous l’observons, pose et posera comme un problème insoluble une barrière à notre connaissance. D’autre part, il nous semble moins évident que la biotechnologie opère avec l’idée de milieu, lorsque la recherche actuelle n’est aucunement destinée aux effets produits sur les milieux où les inventions biotechnologiques sont développées et déployées, et que les changements du milieu n’entrent aucunement en considération dans les liens que l’on essaie de faire entre certaines maladies et la structure génétique. Mais en pensant ainsi, il suffirait de réintroduire la notion de milieu, ce qui signifie de penser par exemple, que la séquence génotypique d’un individu peut être affectée par les émanations de l’industrie, et donc produire une anomalie génétique nommée cancer. Dans ce cas nous risquerions de réintroduire la notion de milieu au centre de la réflexion politique, juste au moment où nous essayons de distinguer milieu et relation, être au monde et espace d’apparition des acteurs. Dans le cas où l’on suivrait les notions classiques de développement de l’individu dans un milieu, nous nous trouverions rapidement avec l’assimilation entre théorie sélective et lutte pour la survie. Dans le cas où les rapports entre structure et changement (devenir, transformation) sont pensés eux-mêmes comme structuraux à un organisme complexe appelé société, nous concevrions l’espace public tout simplement comme un espace d’activités diverses. Et dans le cas où l’on pense la vie comme phénomène politique, c’est-à-dire, orientée et organisée par notre organisation sociale et nos décisions politiques, l’on transformerait l’espace politique en un espace soit de gestion, soit de conservation de la vie, soit comme principes moraux, ou conçu comme un jeu des concurrences et des forces.

3° Je ne m’attarderais pas sur le troisième terme de biotechnologie, le logos. Je reviendrais à un autre moment sur ce lien entre vie, technique et logos, issu de la philosophie de la connaissance propre aux origines de la modernité. Je parlerai à ce moment là des liens entre philosophie de la connaissance et pensée de l’identité.

Je voudrais passer maintenant à la deuxième partie de cet énoncé qui constitue le titre de ma recherche : philosophie politique critique.

J’exposerai uniquement l’enjeu principal et les possibilités et difficultés d’un tel projet. Je suivrai ici la réflexion faite par Miguel Abensour dans son article « Pour une philosophie politique critique». J’essaierai ensuite de le mettre en rapport avec le sujet de mon travail, les biotechnologies.

1.- L’enjeu : « pour autant que la question politique ne soit pas réduite à la gestion non conflictuelle de l’ordre établie, mais s’ouvre à une reformulation de la question de l’émancipation hic et nunc, le lien à la théorie critique, en tant que critique de la domination, s’impose dans la mesure même où les chemins de l’émancipation passent nécessairement, sinon exclusivement, par cette critique. Mieux, c’est précisément parce qu’on marque un écart irréductible entre politique et domination que l’on ne peut ignorer les phénomènes qui relèvent de la critique de la domination et qu’il s’avère légitime d’explorer, voire d’inventer, une relation peut-être inédite entre théorie critique et philosophie politique », « que loin de nous détourner des choses politiques, de la résurgence de la question politique, nous y ramènerait d’autant plus sûrement que l’orientation vers l’émancipation permettrait d’éviter deux écueils aussi funestes l’un que l’autre, l’oubli des phénomènes de domination d’une part, la cécité à la différence entre politique et domination de l’autre ». [15]

2.- Les possibilités : « Existe-t-il des affinités entre théorie critique et philosophie politique ? »

La réflexion sur la domination dans la Théorie Critique permet de distinguer un rapport qui ne serait ni le résultat de la coercition ni celui de l’exploitation, c’est-à-dire, l’existence d’un conflit intrinsèque à la domination. Un conflit qui ne se résoudra pas par d’autres voies que l’émancipation, c’est-à-dire, qui ne trouvera pas son issue dans la transformation de l’économie ou dans un consensus d’intérêts. Cette réflexion fondée sur l’idée d’émancipation, permet d’envisager une distinction plus vaste entre domination et histoire ou entre domination et essence (ou nature) humaine.

Si « La violence ne suffit pas donc à expliquer la division entre dominants et dominés et encore moins l’acceptation de cette scission, c’est-à-dire, l’acceptation de la domination »[16] nous pouvons alors penser le phénomène de la domination comme une relation, au lieu de chercher à étudier les moyens par lesquels les dominants réussissent à opprimer le peuple, ou les besoins en raison desquels les dominés sont obligés d’obéir. Cela replacerait la possibilité de la liberté au centre de cette relation, et permettrait éventuellement de distinguer non seulement coercition et domination, mais aussi violence et politique.

3.- Les difficultés : Nous trouverons d’une part, « la critique de la domination, qui continuerait inlassablement à rechercher les manifestations de la division entre maître et esclave ; de l’autre, ceux qui sensibles au nouveau lever du soleil de la politique ignoreraient superbement les ombres qu’y apporte la persistance de la domination »[17]

La traduction de la question politique dans la langue de l’émancipation pourrait donc nous aveugler quant aux possibilités de voir et de comprendre la phénoménalité spécifique du politique, et le reconduire infatigablement vers des rapports de forces et de violence.

Penser la politique à partir d’un but d’émancipation, et donc, déterminer le regard sur les choses politiques sous ce prisme, empêcherait à la Théorie Critique de penser le conflit autrement que comme une scission vue elle-même comme violence et domination, c’est-à-dire, de faire la distinction entre polemos et stasis[18]. Cette difficulté serait diminuée si l’on pense qu’autant Horkheimer qu’Adorno (et avec moins de force également Marcuse) se sont fortement opposés à une réconciliation dans et par l’Histoire comme certaines lectures de la philosophie de Hegel le prétendent. L’effort de penser le caractère historique de la domination et en conséquence, les possibilités de l’émancipation, n’a pas donné une conception politique à l’intérieur de l’Ecole de franckfort, mais n’a pas créé non plus l’illusion d’une émancipation finale et totale, sans conflictualité ultérieure.

Pour Horkheimer, la politique pourrait bien être dans nos démocraties modernes qu’un « discours ornemental, sans prise sur le réel », qui masque la situation historique de domination. Nonobstant, l’idée d’émancipation contient celle de liberté, et dans ce sens, la critique des conditions historiques de domination résulte en même temps de l’idée de liberté et de vie juste. L’oscillation entre critique de la domination et critique de la pensée politique, signifie, par moments, un mélange entre politique et domination jusqu’au point où l’émancipation voudrait dire « se libérer de la politique ». La théorie critique aurait manqué à une conceptualisation de la politique qui puisse lui faire voir la politique autrement que comme administration, instrumentalisation ou rapports des forces. Ce manque marque encore une distance plus importante avec la pensée politique lorsqu’il implique le fait d’ignorer « non seulement la relation essentielle de la politique à la liberté, mais aussi la question du lien politique, où la politique instituant un rapport entre les hommes, rapport spécifique dans la mesure où il permet à la pluralité d’apparaître, de se manifester sous forme d’une relation qui ait pour particularité, non pas tant d’unir, mais de lier et de séparer à la fois »[19] En d’autres termes, l’idée d’émancipation impliquerait davantage une source pulsionnelle pourrait-on dire, pour l’élaboration de la critique de la société et de la domination, mais ne serait pas envisagée comme une réalité possible, comme un mode d’être ensemble, comme un espace de pluralité, c’est-à-dire, comme un espace d’apparition des acteurs. Comme si, à chaque fois, cet espace d’apparition des acteurs devait être tout de suite pensé comme un espace de domination des sujets et non pas comme un espace de l’agir. L’ambition de dévoiler les masques de l’histoire semblerait empêcher de voir la réalité de cet espace d’apparition, comme si la philosophie de l’identité tant critiquée par eux, revenait permanemment tel un retour du refoulé, à placer les acteurs dans des endroits figés et dans des rapports irrévocablement ré-introducteurs de la domination, idée selon laquelle finalement entre un régime et un autre il y aurait plus une différence quantitative de domination qu’une différence qualitative entre domination et politique.

L’exigence d’une pensée politique, qui fait sienne « l’affirmation de la consistance du politique, c’est-à-dire, d’une spécificité des choses politiques qui les rend irréductibles et hétérogènes aux autres phénomènes avec lesquels on tend à le confondre, phénomènes sociaux, ou socio-historique » et « l’insistance sur la distinction entre régime politique libre et despotisme, ou en termes plus contemporains entre politique et domination totalitaire »[20] iraient donc dans le sens contraire d’une réflexion purement fondée sur la critique de la domination.

4.- Propositions pour une philosophie politique critique:

Malgré les difficultés, un rapprochement serait envisageable. La théorie critique n’est ni une philosophie politique ni une négation pure et simple de la philosophie politique. Elle a effectué un transfert des questions politiques dans l’élément de la transformation et l’émancipation. Du côté de la pensée politique, (Arendt, Rancière, Lefort) on aurait une idée de la politique différente « d’une activité à se déployer dans un espace lisse, sans aspérité, sans clivage ni conflit, orientée vers une intersubjectivité pacifique et sans problème »[21] Abensour nous indique ici la distinction entre police et politique de Rancière, l’irréductibilité des choses politiques (au social et à l’économie) toujours en lien avec la division originaire du social de Lefort, le risque permanent de confusion entre administration des besoins et exercice de la liberté analysée par H. Arendt, à quoi on pourrait rajouter d’après la lecture de E. Tassin des textes de Louraux, l’idée que « la citoyenneté est elle-même un mode de la conflictualité dans lequel il faut prendre parti parce que c’est de cet affrontement que la cité se constitue comme cité »[22], que « c’est en tant qu’on est citoyen qu’on doit être séditieux ». Si la politique est une question de liberté et de servitude, la critique de la domination est en même temps une question politique.

Selon Abensour, cette séparation qui lie ceux qui s’opposent et cette liaison qui sépare ceux qui se rejoignent, implique la possibilité constante d’un retour de la liberté à la servitude, car « les manifestations du principe politique ne sont ni stables, ni des formes irréversibles. Le retour du fait de la domination les menace de l’intérieur jusqu’à risquer de les détruire, de les ruiner et de les vider de leurs sens »[23] La critique de la domination se trouverait donc tel un noyau dans la pensée politique lorsque la politique est placée du côté de l’émancipation. Dit d’une autre manière, dans la philosophie politique même, on pourrait tomber sur quelque chose de sensiblement anti-politique, tout comme dans la théorie critique de la domination, on pourrait être confronté à quelque chose de sensiblement anti-émancipatoire. Ce qui pourrait être anti-politique dans la philosophie politique serait de ne plus penser aux phénomènes de domination et donc à la possibilité de la dégénérescence de la politique, et ce qu’il pourrait y avoir d’anti-émancipatoire dans la critique de la domination serait le fait d’oublier la constitution d’un espace dont le sens est la liberté.


ARTICULATIONS ENTRE LA PROPOSITION D’UNE PHILOSOPHIE POLITIQUE CRITIQUE ET LA BIOTECHNOLOGIE

Comment donc penser politiquement la biotechnologie ? Ne serait-ce pas confondre « tenir à la politique » avec l’idée que « tout est politique », confusion selon laquelle on ferait une identité ou une homogénéisation là où « tenir » veut plutôt indiquer un lien entre deux instances différentes ? Miguel Abensour nous suggère d’entendre dans la proposition de Rousseau « que toutes les manifestations d’une société donnée, qu’il s’agisse du rapport à la nature, des rapports entres les hommes, du rapport à soi et à l’autre, ont à voir à des médiations diverses avec le mode d’être politique, au sens large du terme, de cette société », Dans ces manifestations différentes d’une société donnée, on trouverait donc une sorte de dépendance avec le mode d’institution politique de cette société.

Pour penser la relation entre biotechnologie et politique, il faudrait en conséquence pouvoir d’abord distinguer technique et politique, et d’une manière plus vaste, connaissance et agir, ainsi que vie et politique[24]. Car le problème de penser la science et la technique comme des phénomènes politique en soi, c’est-à-dire, dans une identité avec la politique, pourrait nous mener soit à penser la politique comme l’effet d’un savoir scientifique, comme une forme d’organisation et d’administration des actions humaines (à confondre politique et gestion), soit à considérer le domaine de la production scientifique comme le champ où les conflits politiques devraient se résoudre. Cela nous empêcherait non seulement de comprendre la spécificité de la politique, mais également la spécificité du domaine scientifique et technologique.

Même s’il paraît donc paradoxal, pour penser la biotechnologie en termes politiques nous devrions être capables donc de faire avant tout la distinction entre celle-ci et la politique, c’est-à-dire de voir les différences entre politique et science, entre politique et technique et entre politique et vie. Mais, ensuite, il est nécessaire de regarder les médiations diverses entre savoir et politique, entre technique et politique et entre vie et politique, pour cerner les modes possibles d’un retour de la domination. Il faudrait davantage et en conséquence, décrire le phénomène dont on parle, définir sa spécificité.

Mais pourquoi nous laisser orienter par l’idée d’une philosophie politique critique ? Dans le cas spécifique qui nous intéresse ici, la distinction entre technologie et politique serait en elle-même critique, car si depuis la Théorie critique la technologie est devenue ‘domination politique’, penser politiquement la biotechnologie ne serait pas tant trouver la manière de se libérer de cette domination que de pouvoir la penser autrement que comme domination, c’est-à-dire, de trouver les médiations là où elles semblent impossibles. Penser le lien entre technologie, vie et « liberté ». Décrire le phénomène de la biotechnologie serait déjà la penser de manière critique. La première critique consistera à ne pas la réduire à l’ensemble de préjugés qui semblent définir à priori ce phénomène, selon lesquels la technologie serait par exemple l’équivalent de maîtrise, de contrôle, de domination, et la vie qu’un pur processus naturel et objectif. Mais l’idée de penser les médiations entre biotechnologie et politique voudrait dire également de penser la politique non plus comme un espace lisse et sans conflits avec justement ces préjugés, et moins encore, libérée de toute relation avec la difficulté à penser et à juger que la biotechnologie fait apparaître aujourd’hui dans notre société contemporaine.

Quant au phénomène que nous cherchons ici à comprendre, l’analyse des préjugés est doublement nécessaire : d’une part, elle permet un accès au phénomène que le préjugé occulte ou oblitère, d’autre part, elle permet d’accéder à la singularité de ce phénomène, en tant que ce par rapport à quoi nous n’avons pas encore de critères de jugements pour pouvoir le penser. S’il y a bien aujourd’hui une situation qui caractérise notre approche de la science et de la technologie du vivant, c’est justement l’absence des critères vis-à-vis de ce qu’elle fait apparaître et l’obstination à les penser avec des jugements devenus finalement des préjugés[25].

Il faudrait se tenir à l’égard d’une autre difficulté : celle de croire que l’analyse des préjugés peut se faire à partir des critères tout à fait valides pour nous, objectifs et absolus. Ce qui relève à dire : il faudrait se garder de prendre ces préjugés à partir des préjugés de la science elle-même, tel le fait de confondre l’analyse des préjugés avec la critique des idoles (des idéologies).

De la même manière qu’aucun homme ne peut vivre sans préjugés, la connaissance ne résiste pas à la force du temps sans eux. Il faudrait donc distinguer, non seulement les préjugés sur la science et la technologie, mais également les préjugés à l’intérieur de celles-ci. Un lien avec l’épistémologie contemporaine est donc possible : la science n’existe et n’a jamais existé malgré l’idée qui lui a servi de racine, sans fortes doses de dogmatisme. Pourtant, croire que le savoir scientifique et technologique n’est que l’équivalent du dogmatisme dans notre société actuelle, serait nous laisser guider trop facilement par l’analyse des idéologies. Dans l’épistémologie, le débat sur le dogmatisme en science est développé profondément dans les discussions entre Kuhn, Feyerabend et Lakatos[26]. Je n’exposerai pas ici ce débat, ce qui m’intéresse de retenir, c’est que tandis que Feyerabend accuse la science d’être une nouvelle forme de dogmatisme ayant remplacé le dogmatisme religieux, dogmatisme ayant comme corpus réel la communauté scientifique et l’éducation du savoir scientifique et technique, Lakatos propose de penser la science comme un espace où l’on trouverait un noyau dogmatique autour duquel un ensemble d’anomalies apparaissent de manière permanente et inévitable, et que la communauté scientifique prend en compte pour faire changer une théorie. L’investigation de Lakatos montre que la communauté scientifique ne se conforme en aucun cas à une communauté fermée et sans conflit, car la confrontation et les disputes internes sont la conséquence de l’activité de recherche sans laquelle la science n’aurait pas la possibilité d’avoir une idée de la connaissance. D’ailleurs, cela est le point le plus radical de la position de Feyerabend, qui réduit toute connaissance à une croyance comme n’importe quelle autre, et devant laquelle dans une société libérale on devrait avoir la possibilité de choisir (par exemple dans l’éducation). Selon Lakatos, au-delà du caractère intrinsèque du concept de connaissance, la valeur de la recherche et de l’invention scientifique réside dans les médiations entre une théorie forte et l’ensemble des anomalies qu’elle ne réussit pas à expliquer ou à intégrer. Ce qui fonde la connaissance c’est la possibilité d’assumer ces anomalies comme une partie de la connaissance elle-même, et de garantir la possibilité de leurs analyses et études (financements, liberté de recherche et de communicabilité, ouverture d’espaces de recherche, débat public sur les résultats).

Il s’agit bien, dans les préjugés sur et dans la science, de ce ‘on’ pense, de ce ‘on’ dit, qui fait du discours scientifique et technologique un discours homogène et sans entraves, ce ‘on’ qui voudrait mettre en expression la neutralité et l’objectivité, au-delà des différences notables qui surgissent fréquemment à l’intérieur de l’expérience singulière de la recherche scientifique. Première contradiction, pouvons-nous dire, entre un ‘on’ nécessaire à toute prétention d’objectivité (et pas nécessairement de validité universelle) et l’expérience de découverte et de formulation particulière à chaque moment de production du savoir. De cette première contradiction, nous pouvons conclure que ce qui se révèle ici est la condition ‘publique’ de la science, le public étant, dans la science, ce qui peut être dit de manière objective, un dire objectif, égal à tous et pour tous. Mais ce caractère public de la science rentre inévitablement et nécessairement en conflit non pas seulement avec l’aspect intime de la recherche, mais avant tout, avec l’espace public dans lequel il fait apparaître ses produits et ses résultats, c’est-à-dire, avec cet espace où nous ne pouvons pas nous mouvoir sans jugement. Il serait nonobstant trompeur à nouveau, de croire que le seul accès de la science à cet espace public (qui n’est pas une communauté, et qui ne se confond pas avec la communauté scientifique non plus) n’est que par ses résultats et ses produits, car ce qu’elle fait apparaître, plus que ces produits et ces résultats, c’est l’activité scientifique elle-même, cette capacité d’apparaître elle-même comme ‘un dire objectif’, d’une part, et de faire apparaître ce qui n’existait pas auparavant (des conflits des facultés) et ce qui échappe donc aux préjugés de la science elle-même, d’autre part. Cette activité, comme Arendt l’énonce dans la Condition de l’homme moderne, consiste à déclencher des processus imprévisibles (non seulement des produits ou des résultats) pour la connaissance et le savoir d’une époque. Il faudrait, en conséquence, se questionner sur cette activité avant même d’essayer de comprendre ou de décrire ses résultats et ses produits. Dans le cas qui nous occupe ici, avant de nous interroger par exemple sur le clonage ou sur la thérapie génique, nous devrions nous interroger sur ce en quoi consiste cette activité que nous appelons biotechnologique. C’est seulement dans ce sens que nous pourrions penser aux médiations entre technologie et politique, suite à la possibilité de leur distinction.

Pour faire ceci, il faudrait s’interroger également sur le rapport entre connaissance et monde, et regarder dans quel sens l’activité scientifique est liée à cet ‘inter-est’ propre à l’apparition de l’espace public, propre à la politique.

Penser la biotechnologie en tant qu’activité voudrait dire donc : considérer celle-ci comme l’une des formes du faire, et envisager de la penser en lien avec l’agir politique.

« De même la capacité d’agir, au moins au sens de déclencher des processus, est toujours là ; mais elle est devenue le privilège des hommes de science, qui ont agrandi le domaine des affaires humaines au point d’abolir l’antique ligne de protection qui séparait la nature et le monde humain… Il est certainement assez ironique que les hommes considérés depuis toujours par l’opinion publique comme les membres de la société les moins pratiques, soient finalement les seuls qui sachent agir et agir de façon concertée… Mais l’action des hommes de science, agissant sur la nature du point de vu de l’univers et non sur le réseau des relations humaines, manque du caractère révélateur de l’action… »[27]

La technologie, la recherche scientifique, leurs liens avec la vie, apparaissent ici en rapport avec l’action, dans ce qu’elle a de plus caractéristique, la possibilité de déclencher des processus inattendus et irréversibles, l’anonymat des auteurs. Cette fragilité de l’action, qui n’est que des calamités pour une pensée qui assimile action et gouvernement, fait renaître l’ambition de se protéger contre les dangers de la pluralité et de l’action. Le lien époqual entre science-technologie et action, joue contre la constitution d’un espace proprement politique et enferme la pensée dans la recherche d’un gouvernement qui assure ce contrôle que la politique ne donne pas, « fuir la fragilité des affaires humaines pour se réfugier dans la solidité du calme et de l’ordre »[28]. Elle joue également comme facteur de blocage pour penser la biotechnologie et la science du vivant autrement que comme stratégie de contrôle, exercice de domination ou intervention/production du hasard. Ainsi, ce rapprochement époqual (époque moderne) entre production et action, au lieu d’inciter à penser à de nouveaux jugements, à inventer des critères où les anciens ne nous aident plus, renforce l’interprétation de l’action comme fabrication, de la politique comme moyen et du jugement comme instrument, et transforme ‘le commencement’ et ‘l’agir’ dans les figures du novateur-chef et acteur-executeur.

Cet acosmisme époqual[29] qui bouleverse le rapport entre fins et moyens propre à la fabrication, confirme pourtant l’absence du caractère révélateur de l’action, car la seule manière par laquelle les producteurs, ici les technologues, peuvent apparaître dans un espace commun n’est autre que la présence des objets produits. La production est publique uniquement comme ‘monstration’ des produits et non pas comme distinction des acteurs, ayant comme effet l’atrophie de l’espace d’apparence, où « le produit est identique à l’acte qui s’exécute »[30] Ainsi, lorsque la technique se confond avec la recherche fondamentale, c’est-à-dire, avec cette activité où « je fais ce que je ne sais pas ce que je fais »[31], ce que cette technique produit devient elle-même inattendue et irréversible. Provoquer des processus naturels, cet art de ‘faire’ la nature introduit de cette manière l’incertain dans le processus de production et fait de ce qui devait être le support de durabilité des activités humaines un espace fragile et incontrôlable, faisant des producteurs incapables à défaire ce qui a été fait, « alors que l’on ne savait pas, que l’on ne pouvait pas savoir ce que l’on faisait ». Le transfert de cette fragilité amènera à faire resurgir soit l’illusion de contrôle soit tout simplement l’attente, dans le non-agir, la sagesse de la contemplation devant l’inévitable réapparition de la question de l’être. Cet acosmisme époqual peut bien faire venir-apparaître, dévoiler l’être provoqué, le confronter au danger de la perte de l’essence, mais il n’est point possible grâce à lui de constituer un espace d’apparence pour les relations entre les hommes où l’homme puisse se distinguer de la nécessité, sans pouvoir non plus faire apparaître la solidité d’un monde.

[1] Jorge Luis Borges, Fictions, « Tlön Uqbar Orbis Tertius », Editions Gallimard, 1957, p. 42.
[2] Ibid, « La bibliothèque de Babel », p. 96.
[3] H. Marcuse, L’homme unidimmensionnel, Les éditions de minuit, (coll. Arguments), 1964. P.155.
[4] Cette distance qui sépare et qui rend possible la distinction est niée par deux mouvements parallèles, qui vont de l’espoir éperdu jusqu’à la dépression excessive, celui qui fait de la pensée un univers de relations infinies sans agent et celui qui fait d’elle un pur commandement. Dans le premier cas, nous voyons l’Histoire de la pensée et la substance rationnelle se conformer à elles-mêmes sans arrêt, dans l’autre cas, nous entendons cette fameuse phrase : ‘la pensée… (n’existe) qu’en vertu des ordres qu’on donne ou qu’on reçoit’ (H. Arendt dans « le système totalitaire », nous rappelant ce qu’était la pensée pour Hitler).
[5] «La distinction entre le biologique et le politique peut être énoncée par la différence entre diversité et pluralité, selon laquelle la diversité peut être comprise comme l’une des formes de l’altérité, sans que pour cela on doive la confondre avec la pluralité : « L’altérité, il est vrai, est un aspect important de la pluralité, c’est à cause d’elle que toutes nos définitions sont des distinctions et que nous sommes incapables de dire ce qu’est une chose sans la distinguer d’autre chose. L’altérité sous sa forme la plus abstraite ne se rencontre que dans la multiplication pure et simple des objets inorganiques, alors que toute vie organique montre déjà des variations et des distinctions même entre spécimens d’une même espèce… Chez l’homme l’altérité, qu’il partage avec tout ce qui existe, et l’individualité, qu’il partage avec tout ce qui vit, deviennent unicité, et la pluralité humaine est la paradoxale pluralité d’êtres uniques » (H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1961 et 1983, p. 232) La distinction entre vie et politique comporte alors cette autre distinction entre diversité et pluralité, facilement oubliée par exemple dans les discours courants sur la fonction politique de la bioéthique.
[6] Aristote, Politique, I, 2, 1261 a 22-31, trad. P. Pellegrin, Paris, Garnier-Flamarion, 1990.
[7] Ibid, 1252 a 6-9
[8] Ibid, 1261 a 22-33
[9] M. Heidegger, Essais et conférences, « la question de la technique », Editions Gallimard, 1958, p. 44.
[10] Luc Ferry, « la critique du monde de la technique chez Heidegger », dans Penser la technique, sous la direction de Thomas Ferenczi, Editions Complexe, 2001, p. 47 – 74.
[11] E. Tassin, Un monde commun, pour une cosmopolitique des conflits, Editions du seuil, 2003, p. 147-148.
[12] Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, cité par G. Agamben, dans L’ouvert, Editions Payot & Rivages, 2006, p. 105.
[13] H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ? Editions du seuil, 1995, p. 191.
[14] Cette formulation heideggerienne peut être mise en relation avec le début de la phénoménologie de Hegel, dans laquelle on trouve la certitude sensible comme la première figure de l’esprit. Nous savons bien que Hegel prend ce point de départ car il est en train de réinscrire dans son texte les arguments de Kant contre l’empirisme de Hume. Il serait naïf, selon mes lectures, de croire que Hegel essaie d’élaborer ainsi un premier trait d’une ontologie, selon laquelle on pourrait comparer le point de départ de la certitude sensible avec celle de l’indifférence (l’ennui). Le point qui m’intéresse de soulever ici est la lecture anthropologique des textes de Hegel. Pour moi, la lecture de Habermas est un exemple. Dans cette lecture on confond notamment assez facilement relation et milieu, agir et interaction.
[15] M. Abensour, Pour une philosophie politique critique ? Revue Tumultes n° 17-18 : L’Ecole de Franckfort : la théorie critique entre philosophie et sociologie. Sous la Direction de M. Abensour et G. Muhlmann. Paris, Editions Kimé, 2002, p. 209.
[16] M. Abensour, Ibid 222.
[17] M. Abensour, Ibid 210.
[18] Voir E. Tassin, Un monde Commun, Opcit, p. 60 à 66.
[19] M. Abensour, Ibid p. 249
[20] M. Abensour, Ibid p. 224
[21] M. Abensour, Ibid p. 235
[22] E. Tassin, Un Monde Commun, Opcit, p. 64.
[23] M. Abensour, Ibid p. 253.
[24] Critique de H. Arendt à l’interprétation courante de zoon politikom comme l’existence d’une substance propre du politique, comme fondée sur une nature humaine, « comme s’il y avait en l’homme quelque chose de politique qui appartiendrait à son essence. C’est précisément là qu’est la difficulté ; « l’homme est a-politique » (dans Qu’est-ce que la Politique, p. 42).
[25] « L’une des raisons de l’efficacité et du danger des préjugés consiste en ce qu’une partie du passé se cache toujours en eux. Si on y regarde de plus près, on peut en outre reconnaître un véritable préjugé du fait qu’en lui se dissimule également un jugement qui a été formulé dans le passé, qui possédait originellement en lui un fondement d’expérience légitime et adéquat, et qui n’est devenu un préjugé que parce qu’il a réussi à se faufiler au cours du temps sans qu’on s’en aperçoive ni qu’on y prenne garde », H. Arendt, Qu’est-ce que la politique, p. 52
[26] Pour ce débat, voir T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, I. Lakatos, Contre la méthode, et I. Lakatos, History of Science and Its Rational Reconstructions.
[27] H. Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 403
[28] H. Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 285
[29] L’idée d’acosmisme époqual est développée par E. Tassin entre les pages 147 et 152, dans Un monde Commun. Pour une cosmopolitique des conflits.
[30] H. Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 268
[31] H. Arendt, Condition de l’homme moderne, p. 295

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